Quelles sont les caractéristiques d’un texte fluide?

Quelles sont les caractéristiques d’un texte fluide?

Quand je lis un bon texte, je reconnais qu’il est fluide. Je le sais, j’en fais l’expérience; j’en jubile parfois. Mais, si on me demande d’expliquer cette fluidité, j’hésite. La fluidité d’un texte c’est comme l’amour ou la beauté : plus facile à reconnaître qu’à expliquer.

Pourtant, il faut bien comprendre un peu cette fluidité si nous voulons améliorer nos textes. C’est ce que je tente ici.

Je ne prétends pas donner une explication exhaustive ou définitive de la fluidité ni percer le mystère des chefs-d’œuvre de la littérature. Je cherche simplement comment bonifier les textes que nous écrivons tous les jours au travail : courriels, rapports, dépliants, brochures, etc.

Fluidité : cohésion, progression, clarté et légèreté

Je tente une définition. Un texte est fluide par l’effet conjugué de :

  • sa cohésion,
  • sa progression,
  • sa clarté,
  • sa légèreté.

Avant de préciser chacun de ces aspects, il est utile de distinguer les idées et l’écriture ou, pour le dire autrement, le fond et la forme, ou encore, ce qu’on dit et la manière de le dire. J’utilise ici le mot idée en lui donnant un sens large qui englobe les concepts et les sentiments; les idées complexes autant que les idées noires…

Voyons d’abord comment cette distinction idées-écriture s’applique à la cohésion du texte.

Cohésion : les liens solides entre les idées

La cohésion est un « lien logique solide entre les parties d’une pensée, d’un ouvrage, d’un texte » (Usito). Puisque c’est une affaire de pensée, c’est donc une affaire d’idées. La Banque de dépannage linguistique précise d’ailleurs que « c’est d’abord le lien entre les idées qui assure la cohésion d’un texte.»

La cohésion est aussi une question d’écriture. Les charnières explicites et implicites y contribuent. Ces en conséquence, d’une part… d’autre part, à l’inverse, en définitive et les dizaines d’autres charnières explicites établissent clairement les relations entre les idées, entre les parties du texte. Les charnières implicites (articles définis, adjectifs démonstratifs et possessifs, pronoms, adverbes) font le même travail, comme on le constate dans les phrases suivantes (où elles sont en caractère gras).

  • À toute heure, le locataire du 304 fait jouer sa musique à tue-tête. Ses voisins sont exaspérés.
  • Tu ne connais pas le Grand marché? On y trouve beaucoup d’agriculteurs de la région.

En précisant les différents « synonymes » du mot charnière, Antidote[1] montre bien qu’il s’agit d’un élément clé de la cohésion : « Selon le contexte théorique, le mot charnière peut aussi être désigné par les expressions marqueur (de relation), organisateur textuel, mot lien ou connecteur. »

Mais il n’y a pas que les mots qui assurent la cohésion des idées. Les signes de ponctuation servent aussi à « marquer… certains liens logiques[2] ». En voici quelques exemples tirés de la 16e édition du Bon usage :

  • l’alinéa marque le passage « d’un groupe d’idées à un autre[3] »;
  • la virgule est placée entre des éléments coordonnés ou subordonnés[4];
  • le point-virgule « unit des phrases grammaticalement complètes, mais logiquement associées[5] », « son rôle est surtout logique[6] »;
  • les deux points « annoncent l’analyse, l’explication, la cause, la conséquence, la synthèse de ce qui précède (c’est un moyen précieux pour suggérer certains rapports logiques)[7] »

Bref, la cohésion c’est un lien entre les idées qui est intelligible par les lectrices et lecteurs et qui s’établit d’abord par les relations des idées entre elles, mais aussi, lorsque nécessaire, par les charnières explicites et implicites, et souvent par la ponctuation.

On pourrait aussi ajouter les intertitres à cette liste d’éléments connecteurs.

La cohésion en termes liquides

Les explications qui précèdent sont données sans référence à l’eau alors qu’il est question de fluidité, une propriété des liquides. Qu’est-ce que la cohésion en termes liquides? Permettez-moi une anecdote. Quand elle était enfant, ma fille m’avait dit, pendant qu’elle s’amusait dans une piscine : « Quand on se baigne, il n’y a pas de trou dans l’eau, l’eau est collée sur nous. »

La cohésion est une pensée sans trous. Dans un texte cohérent, tout se tient, comme les gouttes d’eau dans la piscine.

Mais la fluidité d’un texte s’apparente davantage à une rivière qu’à une piscine. Cette rivière, c’est le flot continu d’idées qui suivent leur cours en passant sous les yeux et dans l’esprit des personnes qui lisent. Ce qui nous amène à la progression.

Progression : une pensée qui avance

En lisant le roman de Bernard Pivot sur la vieillesse, j’ai souvent trouvé des exemples de cette progression des idées qui contribue à la fluidité. Je vous en donne un.

Le narrateur est un octogénaire qui rencontre régulièrement ses amis du même âge dans différentes activités sociales. Quand il dit « nous », c’est à ce groupe qu’il se réfère. Le paragraphe qui m’intéresse parle des privilèges de la vieillesse. Le voici. J’y ai ajouté deux courtes parenthèses pour la clarté.

« Reste que le privilège [de la vieillesse] que nous apprécions le plus, c’est d’être toujours en vie. On en a perdu en route [des amis]. Ils n’étaient ni meilleurs ni moins méritants que nous. Leur billet n’était pas de longue durée. Quand ils ont découvert, dans leur sac ou dans leur poche, le bon de sortie, c’était trop tard. Nous, ça va. À peu près. “Touche du bois”, me dit Octo à chaque fois. Notre petit groupe de vieux amis a la chance de ne compter que des hommes et des femmes sur pied, ni cloués au lit ni assis dans un fauteuil, roulant ou pas. »

Trois choses me frappent dans ce paragraphe :

  • la pensée se déroule et avance au fil des idées apportées par chaque phrase (c’est précisément cela la progression);
  • il n’y a que des charnières implicites (c’est peut-être plus facile dans un roman que dans un document administratif);
  • le rythme change grâce à l’alternance de phrases longues et courtes qui créent respectivement un sentiment de ralentissement et d’accélération.

La progression des idées n’empêche pas :

  • de formuler la même idée de différentes manières pour la faire comprendre (parce qu’elle est complexe ou subtile, par exemple);
  • de répéter les mêmes expressions à quelques phrases d’intervalle parce qu’elles se seront chargées de sens entre les deux occurrences.

La progression du texte relève autant de la succession des idées que de l’écriture avec, peut-être, qu’en pensez-vous? une prépondérance des idées.

La clarté : des idées faciles à comprendre

J’aurais pu nommer la clarté comme première caractéristique de la fluidité puisqu’il ne suffit pas que les idées du texte soient liées logiquement et naturellement entre elles pour qu’il soit fluide. Il ne suffit pas non plus que les idées assurent une progression de la pensée. Il faut aussi qu’elles soient claires, faciles à comprendre, rapidement assimilables. Un texte fluide est une succession d’idées claires qui font cheminer les lectrices et les lecteurs.

Que se passe-t-il quand, comme lectrice ou lecteur, nous butons sur une phrase ou une succession de phrases obscures? Soit nous poursuivons la lecture en espérant comprendre plus loin, soit nous relisons plus lentement cette partie obscure du texte et tentons de voir comment cela se rattache à ce qui précède. Dans les pires cas, cette partie du texte contenait une idée majeure qui nous échappera jusqu’à la fin de notre lecture et nous n’aurons pas compris, ou seulement à moitié, ce qu’on voulait nous dire.

La clarté n’exclut pas la complexité. Un texte, dans son ensemble, peut exposer une pensée complexe, élaborée, profonde, voire ardue, mais s’il est fluide, et donc clair, cette pensée sera développée graduellement par une succession de phrases claires. C’est la progression des idées qui nous fera entrer dans la complexité.

La légèreté : que le nécessaire

La légèreté dont je veux parler ici est celle de l’écriture, pas celle des idées. On peut tenir des propos sérieux, avec une écriture légère. Au risque de trop simplifier, je qualifierais ainsi cette légèreté de l’écriture : pas un mot de trop. Ou, pour être plus précis, tous les mots nécessaires, aucun mot superflu.

Parmi les différentes significations de l’adjectif lourd, le dictionnaire Usito consigne notamment celle-ci : « Qui comporte des répétitions ou des longueurs qui gênent la fluidité de l’œuvre, en parlant d’un style, d’un écrit. »

Je suis toujours étonné, quand je révise les textes que j’écris, par le nombre de mots que je peux supprimer sans gâcher une phrase, sans en perdre de sens. Disons-le positivement : pour rendre la phrase plus légère, il suffit souvent d’enlever quelques mots. Quand on sarcle ces mauvaises herbes à la grandeur du texte, on obtient des plates-bandes pas mal plus jolies pour l’œil et l’esprit. À ce jardinage,

  • le spécialiste en matière d’environnement
    devient
    un spécialiste en environnement;
  • monsieur Bédard qui agissait à titre de porte-parole
    devient
    monsieur Bédard, porte-parole.

Si on ne se contente pas d’élaguer, mais qu’on reformule, on peut aller très loin. À partir d’un premier jet formulé ainsi :

  • Du côté d’Étienne, il fait partie de la troisième génération de producteurs de légumes. C’est un jeune homme qui est diagnostiqué depuis quelques années d’une maladie orpheline qui lui laisse peu d’énergie, ce qui ne l’empêche pas d’être au travail chaque matin et d’accomplir les tâches multiples, variées et éreintantes incontournables sur une ferme.

On peut obtenir :

  • Étienne appartient à la troisième génération de maraîchers. Il est jeune, mais atteint d’une maladie orpheline qui lui laisse peu d’énergie, mais ne l’empêche pas d’accomplir chaque jour les exigeantes tâches de la ferme.

Bref, un style aisé, facile et naturel

On parle de fluidité du texte ou de style coulant. C’est la même chose. Le dictionnaire Usito attribue trois qualités à ce style. Il est aisé, facile et naturel. C’est une bonne façon de résumer les choses. Cela nous situe clairement du côté des lectrices et des lecteurs et du sentiment qu’ils éprouvent en lisant, même un texte costaud.

Mais si c’est aisé pour les personnes qui lisent, cela ne signifie pas pour autant que ce fut facile à écrire. Aisance de la lecture n’est pas nécessairement aisance de la rédaction[8].


[1] Antidote est un logiciel québécois d’aide à la rédaction produit par Druide informatique.

[2] GREVISSE, Maurice et GOOSE, André, Le bon usage, 16e édition, Louvain-la-Neuve, De Boeck, 2016, page 126.

[3] id., page 128.

[4] Pour pousser un brin plus loin la réflexion sur la virgule comme charnière implicite, je vous suggère, sur ce blogue, le billet de Caroline Tremblay intitulé De l’utilité de la virgule devant le « et » en français comme charnière implicite.

[5] GREVISSE, Maurice et GOOSE, André, Le bon usage, 16e édition, Louvain-la-Neuve, De Boeck, 2016, page 142.

[6] id., page 141.

[7] id., page 142.

[8] Easy reading is damn hard writing, Nathaniel Hawthorne, écrivain américain, 1804-1864.

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